Deux années de pandémie plus tard et l’arrivée de la guerre en Ukraine, où en est le secteur des traiteurs ? Rencontre avec Alain Marcotullio le Président de l’association les Traiteurs de France qui regroupe 36 des plus belles maisons de l’Hexagone.

M&T / La 12ème édition de la rencontre des Chefs qui s’est récemment déroulée à Bordeaux a-t-elle acté la reprise du secteur mis à mal par deux années de pandémie ?

Cette édition de la rencontre des chefs des Traiteurs de France marquait, en effet, la reprise, sachant que la dernière datait de 2019. Nous avons donc vécu 2 ans sans rencontre et sans échange et cela nous a fait le plus grand bien à tous de nous retrouver enfin après ces longs mois troublés. Par ailleurs, nous avons reçu cette année le label « Année de la gastronomie » dont nous sommes très fiers et, à ce titre, nous avons eu le plaisir d’accueillir Guillaume Gomez, ambassadeur de la gastronomie française dans le monde, qui nous a fait l’honneur de sa présence lors de cette 12ème édition à Bordeaux. Ce fut une très belle rencontre, où nos chefs, tant cuisiniers que pâtissiers, avaient envie de se retrouver, d’échanger et de montrer le meilleur de leurs maisons. Sous l’égide de Grégory Coutanceau, en tant que VP des TDF chargé de la gastronomie, toute cette créativité sera retranscrite dans un magnifique livre de recettes, toutes issues de cette journée.

M&T / A l’issue de ces deux années, à combien évaluez-vous les pertes cumulées pour les 36 membres de l’Association ? Certains ont-ils dû raccrocher ?

Pour répondre très précisément à votre question, ce sont plus de 250 M€ de pertes de CA que les TDF ont subi ! C’est en effet extrêmement conséquent et nous tenons à jour des tableaux de bord précis que nous envoyons chaque mois au ministère de l’Economie et des Finances.  Grâce à nos différents combats, et bien entendu grâce à l’écoute et aux aides du gouvernement, tous les TDF sont sur le pont et retrouvent peu à peu leur niveau d’activité. J’ai utilisé souvent les films de James Bond dans mes précédents entretiens et la dernière en date « mourir peut attendre » résume bien la situation. Toutefois, l’impact de la guerre en Ukraine se fait sentir lourdement pour certains d’entre nous (environ 10% de notre réseau) avec l’annulation par exemple de congrès et événements européens, et pour nous tous, sur les conséquences notamment liées à la hausse des matières premières, du matériel et du budget « énergie ». Ainsi, à fin mars 2022 en comparaison avec le chiffre d’affaires cumulé réalisé par nos membres à la même date en 2019, nous enregistrons encore un recul de 27% et nous anticipons qu’à fin avril 2022 versus fin avril 2019, nous aurons encore une perte de 25%. A noter également que pour environ un tiers de nos membres (30%), le remboursement des Prêts Garantis par l’Etat (PGE) va peser lourdement dans les comptes de résultat et venir encore pénaliser la reprise pour certains, n’hésitant de négocier des échéanciers pour conserver la respiration nécessaire à la poursuite des activités.

M&T / La pandémie en sommeil, une guerre est venue semer le trouble dans les économies européennes, notamment en France. Ce conflit aux portes de l’Europe a vraiment impacté votre activité ?

La pandémie en sommeil,  vous avez raison ! Juste en sommeil …mais nous devrons apprendre à vivre avec car nous ne pouvons pas revivre ces deux années de guerre, car cela en fut véritablement une pour nous tous. Concernant le conflit Russo-Ukrainien, il a comme déjà évoqué des conséquences sur nos activités. Il est évident que les hausses des matières premières, des coûts de l’énergie (électricité, gaz et essence) et les hausses des grilles salariales impactent lourdement nos prix que nous devons revoir à la hausse pour essayer de maintenir une marge d’exploitation qui soit acceptable pour notre rentabilité et la pérennité de nos maisons. De nombreux événements datent encore de 2020 en raison des nombreux reports effectués en raison de la pandémie et nous ne pourrons malheureusement pas maintenir les budgets estimés à l’époque. Nous n’avons pas d’autre choix que de répercuter une partie de ces hausses sur nos prix.

M&T / Comment se profile l’année 2022 pour les Traiteurs de France ? Les demandes des clients professionnels ont-elles évolué ? Les budgets sont-ils en retrait par rapport à l’avant crise ?

Bien mieux qu’en 2021 ! Les demandes sont là, et comme nous l’avions prévu, le premier trimestre est encore compliqué, en raison du délai de latence entre la reprise effective (comme les restaurants au mois de février) et le délai de commande des prestations traiteurs. Nous avions plutôt envisagé une véritable reprise pour mai et nous y sommes ! Concernant les budgets, comme je vous l’ai expliqué plus haut, même si certaines demandes sont à la baisse ou annulées, avec les coûts subis, nous ne pouvons répondre qu’avec des prix qui sont en cohérence avec les coûts de revient.  Toutefois, nous enregistrons une augmentation des demandes, qu’elles soient B to B ou B to C, et nous tentons de répondre positivement à chaque client.

M&T / La crise vous a-t-elle conduit globalement à revoir votre offre ?

En effet, la crise actuelle nous oblige à revoir nos prix de vente, comme je vous l’ai dit . Concernant nos offres, elles se sont obligatoirement transformées. Nous avons traversé une grave crise sanitaire qui nous a obligés, au fur et à mesure, à nous adapter. Les différents protocoles sanitaires que nous avons écrits conjointement avec les Traiteurs Évènementiels Paris, ont modifiés nos offres. De l’individualité du cocktail au cocktail « assis », nous en conservons les bons côtés et les mettons en œuvre désormais sur nos réceptions.

M&T / Les Traiteurs de France sont très engagés dans le développement durable et la lutte contre le gaspillage. Ces combats sont-ils encore d’actualité en sortie de crise ?

Plus que jamais ! Nous avons été pionniers dans la lutte pour le gaspillage alimentaire en signant en 2015 le pacte anti gaspillage avec Guillaume Garot. Notre engagement DD et RSE s’est amplifié avec la norme ISO 20121 mise en place chez tous les TDF et Claire Pennarun, VP en charge de la qualité et de la RSE, prépare une nouvelle version 2022 de la norme ISO qui intégrera également l’inclusion au niveau RH. Notre volonté est vraiment d’être des acteurs à temps plein et à 100% du développement durable.

M&T / Vous êtes à la tête d’une association qui ne compte que 36 membres. Son avenir passe-t-il par un renforcement du nombre de ses adhérents ?

Oui évidemment et nos différents combats ont donné le jour à une forte demande d’adhésion au réseau Traiteurs de France, ce qui se traduit par une demande volontaire du TOR de vouloir nous rejoindre, ce que nous allons mettre en place avec un processus clair et précis passant par l’interview de clients mystères, l’étude de devis, des audits qualité, des audits sur prestation et un grand oral du dirigeant. D’ici à fin 2022, nous compterons 38 ou 39 membres.

M&T / Qu’est-ce que vous avez envie de dire aux entreprises qui ont tendance depuis la reprise à limiter le nombre d’événements et à privilégier des formats plus réduits ?

Je ne constate pas spécialement cet état. On sait maintenant et, tant mieux, que la grande tendance émergeante du début de crise, sur la digitalisation des évènements, que j’ai d’ailleurs combattue, n’a pas perduré. Tout simplement parce que nous sommes des humains et nous avons envie et besoin de nous voir en « vrai ». Il demeure fondamental dans les relations sociales d’échanger, de partager, de rire et sourire… c’est toute la quintessence de notre métier où la passion et la créativité sont de mise pour nous qui sommes des « créateurs d’émotions » !

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