L’envolée des contaminations freine la repise de l’activité économique, notamment dans le secteur de l’hôtellerie. Il y a pourtant des raisons d’être optimiste selon Vangueis Panayotis, le CEO de MKG Consulting.

M&T / Après les bons résultats enregistrés durant la saison estivale, on s’attendait à une vraie reprise de l’activité hôtelière en France au cours de l’hiver. Patatras, la remontée de la pandémie vient contrarier ces prévisions et les professionnels anticipent une nouvelle chute d’activité. Qu’en est-il exactement ? Quel bilan dressez-vous pour 2021 ?

Le premier semestre avait encore été marqué par un épisode de confinement avec une hôtellerie française ayant tourné au tiers de son activité normale (-66% de RevPAR), mais dès la fin du printemps elle s’est relevée. Après une saison estivale correcte (-20,4% sur juillet-août relativement à l’été 2019), ce premier automne déconfiné depuis 2019 affichait jusqu’ici des résultats plutôt encourageants pour l’hôtellerie française : en octobre et novembre 2021, les performances d’activité n’ont été inférieures « que » de -16% aux standards d’avant-crise. Le début de l’automne a été marqué par un retour progressif de la clientèle d’affaire qui avait commencé à reprendre ses habitudes, et les vacances scolaires de la Toussaint ont également pu profiter aux hôteliers. Ainsi, au mois de novembre, le taux d’occupation des hôtels français était remonté à 55,9% (+37,7 points par rapport à la même période en 2020 lorsque la France était confinée). Ce sont « seulement » –9,7 points en-deçà de novembre 2019. Et le recul des prix moyens s’est lui aussi pratiquement interrompu (-2,8% au global). Et nous observons des tendances comparables début décembre, malgré les annonces gouvernementales et l’apparition du variant Omicron. Les performances se sont donc globalement maintenues, même si localement les situations sont toujours contrastées. Si l’arrivée de la cinquième vague inquiète inévitablement les hôteliers, la résistance du marché semble donc de plus en plus forte. La situation actuelle est loin d’être comparable à ce que l’hôtellerie française a connu au plus fort de la crise, et la reprise amorcée ces derniers temps est donc plutôt confirmée. Mais, sur l’année complète, le bilan reste difficile avec un chiffre d’affaires encore plus de 40% inférieur aux standards d’avant-COVID. L’hôtellerie a souffert, mais les perspectives se sont améliorées en cours d’année.

M&T / A combien s’élèvent les pertes pour le secteur ? A-t-il les moyens d’affronter une nouvelle crise ?

Cette année, l’hôtellerie va encore perdre près de 10 milliards de chiffre d’affaires relativement à 2019. Toutefois, par rapport à ses homologues européens, la France s’en sort relativement mieux (devant le Royaume-Uni avec -50,5% de RevPAR sur les 11 premiers mois de l’année). Pour 2022, nous n’attendons pas une baisse d’ampleur comparable à celle des précédentes vagues ni même de 2021. En l’état actuel, une amélioration de la conjoncture en cours d’année, et notamment au deuxième semestre, est à attendre. Sur l’année, nous attendons donc une baisse beaucoup plus contenue, de l’ordre de -13%. Par ailleurs, l’hôtellerie française a enregistré des impacts de la Covid différents selon les territoires et les gammes, et les perspectives de reprises sont très variables. L’impact sur l’hôtellerie économique et les destinations secondaires a été moindre, compte tenu de leur clientèle, mais leurs marges de manœuvre financières étaient plus limitées. A l’inverse, sur les segments milieu et haut de gamme et dans les grandes métropoles (et tout particulièrement à Paris), l’impact a été plus sévère et la reprise devrait être plus longue. Cependant, leur capacité d’absorption et leur trésorerie étaient plus solides au préalable. Cela dit, tout dépendra de l’avenir des aides gouvernementales qui resteront indispensables à la pérennité du secteur tant que l’activité ne reprendra pas de manière stable.

M&T : Comment les groupes hôteliers ont-ils globalement traversé cette tempête ? Ont-ils été plus épargnés que les indépendants, lesquels sont bien souvent propriétaires des murs et du fonds ?

Les véritables facteurs qui ont pu faire la différence ne sont pas tant l’appartenance ou non à un groupe que la destination, la gamme et la taille de l’établissement. Indépendants comme de chaînes, les hôtels qui devaient payer un loyer à leur propriétaire ont généralement plus souffert. Par ailleurs, certaines aides gouvernementales ne s’adressaient qu’aux petits établissements, les groupes étant écartés ou ayant rapidement atteint les plafonds de certains dispositifs. D’autres outils ont à l’inverse été plus mobilisés par les groupes. Le bilan est donc plutôt équilibré. Pendant la tempête, les groupes ne sont pas restés inactifs : ils ont fait pivoter leurs organisations, notamment au niveau des sièges, et se sont préparés à s’adresser à de nouveaux marchés (resort, résidents et travailleurs locaux via le coworking, l’expérientiel…) pour préparer la relance. La différence ne se verra que demain.

M&T / Quel a été l’apport de la clientèle étrangère au cours de cette année ? Les Européens ont apparemment largement compensé l’absence des Américains, des Russes et des Asiatiques, lesquels ont tardé à revenir ? Faut-il s’attendre à ce que ces derniers désertent encore notre pays dans les mois à venir ?

La France accueillait 90 millions de touristes internationaux avant l’arrivée de la pandémie, l’enjeu est de taille. La clientèle étrangère a été absente du paysage touristique français en 2020. Mais en 2021 elle est revenue progressivement, et plus particulièrement la clientèle européenne. Cet été notamment, si la clientèle long-courrier a manqué à l’appel, les Européens ont répondu présent. Et si les Américains, Russes et Chinois ou Japonais ont été absents au premier semestre 2021, ils sont revenus progressivement au cours de l’année : cela s’observe récemment au travers de la reprise de l’hôtellerie haut de gamme et luxe notamment. Nous savons que nous ne pouvons pas nous attendre à un retour rapide de la clientèle chinoise ; maintenant le point de pivot ce sont les Américains : vont-ils être durablement autorisés à revenir ? C’est le vrai sujet à l’heure actuelle, avec aussi la clientèle britannique, cruciale dans nos stations de montagne pour la saison d’hiver. Sur l’année, l’enjeu est surtout de capter la clientèle européenne et française. D’ailleurs, nous observons déjà que les Français et Européens ont su contrebalancer ce déficit de clientèle internationale, notamment sur la saison estivale, en 2021.

M&T / Même si tous les Français sont vaccinés – ils sont à ce jour près de 6 millions à ne pas l’être – le virus continue et continuera de circuler. Comment le secteur hôtelier doit-il s’adapter à cette nouvelle donne ? A quel prix ?

En effet, une grande majorité des Français est vaccinée (presque 90% des personnes éligibles), ainsi seulement un nombre limité de personnes n’aura pas la possibilité de voyager. D’ailleurs, on voit bien que les Français veulent voyager ; les statistiques de fin d’année le confirment. Maintenant c’est à nous de faire en sorte d’adresser ces 90% de vaccinés : l’hôtellerie doit se préparer à les accueillir dès lors que la situation sanitaire le permet. Pour le reste, ce n’est pas à nous d’en juger, nous devrons simplement continuer à faire preuve de capacité d’adaptation vis-à-vis des décisions prises par les autorités sanitaires. Pour les hôteliers, l’enjeu sera aussi de s’adapter en termes d’activité : cela passe par poursuivre sa diversification, cibler les résidents…

M&T / Les grands centres urbains – notamment Paris, Lyon, Strasbourg ou Lille – ont beaucoup souffert depuis dix-huit mois et la reprise a été nettement plus faible qu’ailleurs. Comment faut-il interpréter cette tendance ? L’arrêt du secteur évènementiel en est-il la cause principale ?

Oui en effet, les grandes métropoles ont été durement affectées par la crise. L’évènementiel, d’affaire comme de loisirs, en est une des causes mais ce n’est pas la seule : leur exposition à la clientèle internationale, à la clientèle d’affaires individuelle et le plus fort poids du haut de gamme et luxe y ont aussi contribué. Cela dit, aujourd’hui, la tendance est plutôt à la reprise progressive du tourisme d’affaires et de la demande en haut de gamme. Ainsi, le RevPAR en novembre 2021 affiche à Paris un repli de « seulement » -23% par rapport à novembre 2019 (contre -65% en moyenne sur les 11 premiers mois de l’année).

M&T / Cette baisse d’activité dans les grandes agglomérations est-elle de nature à bouleverser l’avenir de l’hôtellerie dans ces zones ?

Pour les grandes agglomérations, c’est un vrai choc conjoncturel mais les fondamentaux sont durables : croissance mondiale du tourisme, des city-breaks, attractivité immobilière et économique… C’est plutôt pour les destinations secondaires et tertiaires que l’avenir a changé : à la faveur de cette crise, ces territoires plus exposés aux marchés domestiques et loisirs ont retrouvé un lustre nouveau, auprès des clientèles comme des opérateurs et investisseurs hôteliers.

M&T / Y-a-t-il des raisons d’être optimiste pour l’avenir de l’hôtellerie ?

Oui. Si les dernières annonces et les nouveaux enjeux sanitaires vont à nouveau différer la reprise de l’hôtellerie française, il faut souligner que la situation sous-jacente est bien meilleure en termes de reprise. Le climat général est incomparable à celui de l’hiver 2020-2021 : il n’y a pas d’annulations massives à l’heure actuelle. L’hôtellerie a déjà traversé de nombreuses crises par le passé et s’en est toujours relevée, et celle-ci ne fera pas exception. Nous n’imaginions pas après le 11 septembre 2001, qui avait marqué un repli durable des Américains, que la demande des clientèles internationales exploserait dès la décennie suivante sous l’impulsion des pays émergents. Peut-être que de la même manière, au repli de l’évènementiel d’affaires aujourd’hui succédera demain la montée en puissance d’un nouveau segment de marché ouvert par le télétravail ? L’avenir ne cessera jamais de nous surprendre !