BENOIT RAMOZZI Délégué général de LEVENEMENT

M&T / Vous venez de lancer une campagne presse destinée à alerter les annonceurs sur leurs pratiques d’appels d’offres. Quel est le message ?

Le message est très simple : nous mettons au défi les annonceurs de bannir leurs pratiques irresponsables en matière d’appels d’offres. Le sujet n’est hélas pas nouveau, cela fait déjà plusieurs années que nous constatons des dérives en matière de compétition. Nous avons tenté l’approche pédagogique avec des réunions d’information, la diffusion d’un guide de la relation agences-annonceurs (LESSENTIEL) et la co-signature de la charte La Belle Compétition. Malheureusement, force est des constater que cela n’a pas eu l’effet escompté. Nous faisons même face à une augmentation des appels d’offres irresponsables après la crise sanitaire.

M&T /Quelle est la durée de cette campagne ?

La campagne a démarré début septembre avec une première parution dans CB News. Nous avons donné un coup d’accélérateur avec d’autres parutions presses (JDD, Les Echos), et une montée en puissance sur les réseaux sociaux. Nous n’en sommes qu’au début, l’objectif est de prendre régulièrement la parole dans les médias et sur les réseaux sociaux en publiant des témoignages d’agences, mais aussi, en parallèle, en mettant en valeur les comportements vertueux d’annonceurs. Il n’est pas question de relâcher la pression trop vite, notre campagne est pensée sur le long terme !

M&T/ En quoi ces pratiques sont-elles « insupportables » ? Quel est l’impact pour les agences ?

Les appels d’offres font partie de nos métiers. Nous encourageons bien sûr les annonceurs à entretenir une relation pérenne avec leurs agences, mais lorsqu’ils souhaitent avoir recours à la compétition, ils se doivent d’avoir un comportement responsable et vertueux. Les pratiques insupportables que nous dénonçons sont par exemple le manque de transparence sur les budgets, les délais intenables pour des livrables trop conséquents, le trop grand nombre d’agences en compétition, l’absence d’indemnisation au regard du travail effectué et des notes stratégiques et créatives demandées… Toutes ces mauvaises pratiques impliquent pour nos agences un investissement financier et humain considérable.La réponse aux compétitions peut représenter jusqu’à 25% des charges fixes pour des agences ! En bref, des pratiques irresponsables entraînent une véritable destruction de valeur, une pollution économique et des impacts environnementaux.

M&T / Les annonceurs ont-ils selon vous profité de la crise pour durcir leurs pratiques ?

Ces pratiques irresponsables ne sont bien sûr pas toutes à mettre sur le compte d’une volonté délibérée de profiter de la crise, elles sont plutôt le fruit d’une méconnaissance du fonctionnement des agences et d’une sous-évaluation des coûts et du temps-homme qu’implique la réponse à un appel d’offres. Par ailleurs, il n’est pas normal pour un annonceur de se targuer d’avoir une politique d’achats responsables sans l’appliquer concrètement en respectant le modèle économique des fournisseurs.

M&T / Qu’attendez-vous concrètement des donneurs d’ordre ? Ne risquent-ils pas d’être agacés que la question soit mise sur la place publique ?

Il n’est pas question de faire du « name and shame » mais plutôt de mettre en avant les comportements vertueux (car il y en a !). Dans notre campagne, nous demandons aux donneurs d’ordres de nous faire part de leurs pratiques responsables et proposons de les mettre en valeur. Par ailleurs, LÉVÉNEMENT s’engage à alerter directement les annonceurs concernés grâce à un système d’ « Alerte Compétition ». Cela peut commencer par un simple courrier adressé aux donneurs d’ordre, puis par la mise en place d’un rendez-vous pour leur rappeler les bons usages. Cette approche directe a déjà fait ses preuves ! En dernier lieu, nous pouvons aussi saisir le médiateur des entreprises.

M&T / Le débat n’est pas nouveau, voilà des années que les agences se plaignent de l’attitude des donneurs d’ordre. Rien n’a vraiment changé ?

Malheureusement, comme je l’expliquais précédemment, les approches pédagogiques des années passées n’ont eu que peu d’impact : nous ne constatons pas d’amélioration.

M&T / Vous demandez aux annonceurs de « témoigner de leurs engagements envers les agences » ? Vous attendiez-vous de leur part à davantage d’empathie en sortie de crise ?

Effectivement, au démarrage de la crise et avec les premières restrictions sanitaires, le discours de Bruno Lemaire demandant aux entreprises d’adopter un comportement responsable vis-à-vis de leurs partenaires a été efficace.Beaucoup de donneurs d’ordres ont joué le jeu afin de ne pas mettre en péril la filière événementielle, notamment en ce qui concernait les annulations et les reports. Cette solidarité ne doit pas s’évaporer en sortie de crise !

M&T / Si vous n’obtenez pas satisfaction, prévoyez-vous d’autres actions ?

L’objectif est de ne pas relâcher la pression. Nous prévoyons de dédier la 3ème édition de notre web TV [A]LIVE aux appels d’offres en invitant les associations d’annonceurs et les organisations professionnelles du secteur à débattre pour co-construire un modèle de bonnes pratiques. Cette ligne rouge va devenir un peu le fil rouge de nos actions !

M&T/ Faut-il une remise à plat des appels d’offres et la mise en place d’un barème d’indemnisations des agences ? La question vaut aussi pour les intermédiaires, notamment les DMC dans le domaine du voyage ?

Dès qu’un appel d’offre est irresponsable, cela impacte toute la chaîne de valeur, de l’agence au prestataire, et les DMC sont bien sûr impactés. Les agences de LÉVÉNEMENT dialoguent justement avec les DMC afin de mettre en place une charte de bonnes pratiques qui pourra aussi servir d’outil pédagogique pour les donneurs d’ordres.

M&T / Peut-on imaginer que vous demandiez l’arbitrage des autorités pour régler cette crise ?

Vous soulevez un point important. A l’initiative de l’UCC Grand Sud, nous travaillons actuellement sur un guide des achats responsables en matière des commandes publiques qui s’appuie sur un texte réglementaire. L’idée serait à terme de s’inspirer de ces travaux sur les commandes publiques et de les adapter aux commandes privées.

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